« … Pourtant, il n’y a peut-être aucune région dans l’ensemble des Apennins… qui ait à la fois autant de majesté de montagnes et autant de beauté de paysages marins… »
Giustino Fortunato
C’est ainsi que Giustino Fortunato, historien, économiste et naturaliste, décrit les monts Lattari, qui constituent la charpente de la péninsule de Sorrente, entre la plaine de Sarno et le golfe de Salerne. Ce sont des reliefs accidentés et abrupts, avec des pentes très abruptes qui s’inclinent vers la mer avec des côtes et des falaises hautes et inaccessibles, entrecoupées de quelques plages. En 1876, Fortunato décide d’explorer ces territoires fascinants avec une marche de trois jours de Cava de’ Tirreni à Punta Campanella, dans le but de cartographier la haute route des Monts Lattari. Cette aventure offrait non seulement la possibilité d’explorer la beauté naturelle de cette chaîne de montagnes, mais aussi d’admirer d’en haut le double littoral, avec ses ports cachés derrière chaque cap, ses jardins qui s’étendaient au-dessus de chaque colline et ses villages qui parsemaient chaque esplanade.
En 1877, Giustino Fortunato accomplit la traversée épique des monts Lattari en seulement trois jours, partant de Cava dei Tirreni et atteignant finalement Punta Campanella. La description de son voyage tirée d’un reportage publié dans la revue « L’Appennino Meridionale », périodique culturel et d’information de la section napolitaine du Club Alpin Italien, pourrait rendre pleinement compte de l’enchantement et de la magnificence de cette extraordinaire aventure.
« …en remontant les pentes de ce va-et-vient varié, plus ou moins alpin de tous côtés mais toujours riche de vues, on aperçoit comme par magie le miroir bleu de l’eau qui s’étend ici et là jusqu’à l’œil. peut voir, et la rive sous-jacente est entourée de mille façons de falaises aux silhouettes, de falaises scintillantes, de recoins sombres aux couleurs du vert émeraude ou du cobalt du lapis-lazuli… »
Giustino Fortunato sur les Apennins du Sud
Mais qui est Giustino Fortunato ?
Giustino Fortunato était une figure de proue de la politique du royaume d’Italie du XIXe siècle, connu pour ses vastes connaissances et son influence dans les cercles politiques et culturels. En tant qu’homme politique, économiste et historien, Fortunato a contribué de manière significative au développement de la pensée méridionale, en cherchant des solutions pour remédier aux disparités socio-économiques entre le nord et le sud de l’Italie.
L’importance de Giustino Fortunato dans la politique du Royaume d’Italie réside avant tout dans son engagement envers la question méridionale. Par ses analyses et ses propositions, il tente de sensibiliser l’opinion publique et les dirigeants à l’urgence de développer et de moderniser l’Italie du Sud. Son travail a contribué à promouvoir des politiques visant à améliorer les conditions économiques et sociales du Sud, jouant un rôle crucial dans le débat politique de l’époque.
En 1871, le siège du CAI a ouvert ses portes à Naples via Tarsia et abritait également le laboratoire de botanique de Nicolantonio Pedicino de la « Société Royale d’Encouragement des Sciences Naturelles », puis « Institut Regal d’Encouragement des Sciences Naturelles », qui avait pour tâche de promouvoir la recherche appliquée et pure afin de favoriser un nouvel élan économique dans le sud de l’Italie. En 1872, Giustino Fortunato de Rionero in Vulture rejoint cette section et avec lui de nombreux noms illustres tels que le baron Vincenzo Cesati, titulaire de la chaire de l’Université Federico II, le botaniste Giuseppe Camillo Giordano et Benedetto Croce. À partir de là, dans les Apennins, Giustino Fortunato forge ses convictions politiques et, pour se remettre en question continuellement, il entame une série d’intenses pérégrinations qui le mèneront, au fil des années, à parcourir de long en large les Apennins méridionaux, du Gran Sasso à l’Aspromonte. (pour se souvenir, entre autres, des excursions réalisées entre 1877 et 1878, rassemblées dans quatre rapports extraordinaires qui reçurent le nom de « Mémoires d’alpinisme » et qui font référence à des excursions sur les montagnes Lattari, sur le Taburno, sur le Terminio et sur le Partenio, publié dans les bulletins du CAI puis réédité).
Commençons par le début de son voyage en couvrant certains des moments forts de son voyage.
En 1876, Giustino Fortunato conçut et organisa son voyage, avec une première tentative ratée dont le départ était prévu du hameau Corpo di Cava de Cava de’ Tirreni. Cette première expérience échoue, mais il n’abandonne pas et l’année suivante il commence son aventure.
Le début du « voyage » a eu lieu à 6 heures du matin le 15 octobre 1877, le « plus beau matin d’automne » d’une valléedans le quartier Contrapone de Cava de’ Tirreni, ayant pour guide pour le premier jour d’ascension un vieux bûcheron qu’un notable local, le Docteur Pisapia, avait pris soin de mettre à disposition de notre randonneur. Le sentier monte doucement entre le Mont Finestra à gauche et le Mont Albino à droite jusqu’à une « colline boisée » à environ 900 mètres d’altitude. De là, notre Giustino a suivi un sentier à mi-hauteur de la colline qui dominait toute la « vallée accidentée de Tramonti », pour atteindre, vers 9 heures du matin, le « passage du Chiunzo ». Après environ une heure, il atteignit la « Porte Corbara », de la « bouche abrupte » de laquelle il pouvait jeter un coup d’œil sur la plaine de Sarno et la « Pompéi morte ». Après un court arrêt, Giustino commença l’ascension de la « mole erta » du Monte Cerreto. Arrivé au sommet, il fut ébloui par la forte luminosité qui imprègne ce lieu, qui inspire presque un sentiment de perplexité et d’émerveillement. À cet égard, il convient de rapporter les paroles exactes de Giustino Fortunato qui résument bien les sensations suscitées par un lieu que même nous, randonneurs modernes, reconnaissons comme ayant un charme presque magique: « Il y avait là-haut une telle splendeur de lumière que les yeux en étaient éblouis ; tout brillait dans l’atmosphère vaporeuse, les pentes ondulantes, les villes blanches sur le rivage, les deux golfes parsemés çà et là de voiles et en face, à seulement six milles de là, les tours dentelées du Monte Sant’Angelo se déployaient avec éclat. ».
Après être descendu de Cerreto, notre aventurier traversa le plateau appelé à l’époque “Aja del Cerreto” et aujourd’hui connu sous le nom “Megan projette”; il s’est ensuite dirigé vers le Mont Cervigliano et, après avoir parcouru en partie les pentes, il s’arrêta aux sources duAcqua Brecciata, un lieu qui domine la vallée du Castello et la ville de Gragnano. Après avoir repris notre route, après environ une heure, le bassin sous-jacent d’Agerola est apparu à midi à notre randonneur « tout vert avec ses petits villages aux toits de châtaignier pointus, solitaires et silencieux comme une vallée reculée des Alpes ». C’est là, dans la ferme de Ponte Fortunato, qu’il termine la première étape de son « voyage à travers les montagnes » sur le Lattari, en tant qu’hôte dans une « Casa Cuomo » indéterminée.
Le lendemain matin, notre randonneur commence la randonnée vers 8 heures du matin, avec comme guide un « compatriote de Sorrente ». En une heure environ, vous atteignez la crête qui sépare Agerola de la vallée du Pimonte. Il le suit en direction de la concavité sur laquelle domine l’imposante masse de Sant’Angelo a Tre Pizzi, « toute fissurée dans les murs d’aplomb et coupée en certains endroits par de profondes rainures d’eau de pluie ». En suivant une arête exposée le long des parois de la profonde vallée, on atteint enfin le sentier qui mène à la source de l’Eau Bénite. De là, on continue jusqu’au sommet du Picco San Michele (aujourd’hui appelé « Il Molare »), qui avec ses 1444 mètres est le plus haut sommet de la chaîne Lattari. Arrivés au sommet, les attentes de notre Giustino furent d’abord déçues par la présence d’épais nuages s’élevant de la « baie sud », ne laissant qu’une brèche au nord dans laquelle on pouvait apercevoir le sommet de Terminio. Mais au bout d’un moment, un tourbillon de vent dissipa l’air des nuages et permit à Giustino de regarder « les rochers en contrebas qui se montraient un à un, un spectacle merveilleux en eux-mêmes ». À ce moment-là, il est fasciné par la beauté de ce spectacle de la nature et exprime avec force la pensée que « la montagne est la reine de la nature, une reine indomptable et fière car elle est comme le symbole de sa force, de son mystère, de sa pureté intacte : la première que le soleil devient pourpre, c’est la dernière qu’il abandonne ».
Laissant derrière nous ces « pensées aériennes » et après nous être rafraîchis, la nôtre a repris sa route vers midi le long des « crêtes sablonneuses du sud-ouest ». Discese per circa due ore i “dirupi scheggiati della Conocchia” in fondo ai quali luccicava la marina di Positano. Ayant atteint le col de Santa Maria a Castello, il se dirige rapidement vers le Monte Comune, au sommet duquel il fait un bref arrêt, il arrive vers 16 heures de l’après-midi. Il reprit bientôt son voyage et, en passant par la crique « Chiossa », il arriva finalement au sommet de Vico Alvano alors que « le soleil se couchait déjà sur Naples », profitant de la vue « sur toute la plaine de Sorrente ».
Il descendit bientôt de Vico Alvano pour se diriger vers la Villa di San Pietro à Ceremenna où il fut « aimablement accueilli » par le prince Colonna de Summonte.
Le troisième jour, Fortunato partit à l’aube ; le ciel était couvert de gros nuages, « mais une légère brise assurait quand même du beau temps » Il se dirigea vers les Colli di Fontanelle, remonta une rue jusqu’au Maracoccola et puis, après deux heures, arriva aux « agréables pâturages du village de Sant’Agata ». De là, il continua en passant par la colline de Santa Maria della Neve, jusqu’au village le plus éloigné de Termini. Il a ensuite gravi « les deux sommets » du Monte San Costanzo, sur lequel il a fait une brève halte vers 10 heures du matin. Une fois le soleil réapparu entre les nuages, nous avons pu admirer le magnifique paysage qu’il a décrit ainsi : » l’anse verdâtre de Jeranto se fermait à nos pieds, silencieuse et profonde, et loin à l’est les îlots des Gaules étaient dorés, la Sirène redoutée d’Ulysse ; devant, maintenant trois milles en ligne droite, se trouvait l’ensemble du Capri tibérien, désert et fantastique »..
Après environ une heure, il atteignit enfin Campanella, « un jour sacré pour Minerve », destination finale de cette excursion du XIXe siècle dans les Monts Lattari. Le retour s’effectue par la petite route du côté ouest du Monte San Costanzo qui mène à Termini. De là, il continue sur « l’ancienne route de Massa Lubrense jusqu’à Sorrente ». De là, il partit en calèche à deux heures pour la gare de Castellammare où il prit le train pour Naples « avec l’intention, moitié espoir et moitié désir, de revenir à d’autres occasions dans les Monts Lattari ».